le 16/10/2015 - FRED AU PAYS DES MERVEILLES.

  L’handicap n’a pas eu seulement (pour moi comme pour bien d’autres) l’unique inconvénient de me clouer dans un fauteuil roulant ni de me condamner à une forme de solitude; il m’a également sevrée d’une nourriture culturelle,  indispensable à la production de l’imaginaire, source évidente d’évasion d’un quotidien souvent synonyme d’ennui et de misère intellectuelle.
C’est ainsi qu’il y a quelques mois, je soupirai auprès de notre chère Florence : « C’est sûr à présent, vu mon âge et mon autonomie restreinte, je mourrai sans avoir vu Le Louvre ». Paroles qui ont fait sursauter de surprise la fondatrice d’HandiLettante qui, dans une charmante colère feinte me répondit : « Et pourquoi, s’il te plaît, tu ne pourrais pas aller au Louvre ? ». J’argumentai alors les impossibilités avec les multiples chaînes de l’handicap qui pour être connues, n’en sont pas moins lourdes et difficiles à dénouer : la véritable « épopée » que constitue le voyage en train pour une personne en fauteuil, le prix du billet, l’inconnu terrifiant que représente la traversée de Paris et l’évidente nécessité d’être accompagnée pour l’effectuer ; les billets à se procurer pour entrer au musée, la difficulté à se repérer dans « le saint des saints », tout cela m’apparaissait  plus comme un parcours du combattant que comme une sortie récréative et enrichissante !
Elle rétorqua avec sa devise désormais célèbre chez HandiLettante et que nous devrions, ce me semble, inscrire sur notre bannière : « Il n’y a pas de problème, il n’y a que des solutions ! »…Et devant mon visage interloqué, elle déroula en une seule phrase fluide  « l’abracadrabra » propre à dénouer le nœud gordien de mes espérances bloquées. Je lui souriais, un peu sceptique je l’avoue, échaudée par nombre de promesses restées lettres mortes, pensant que tout cela entrerait dans le flou des projets avortés, entouré de la vapeur des rêves et du conditionnel des « y’a qu’à » et autres « faut qu’on ».
Et c’est bien là où je me trompais et augurais bien mal de la personnalité de Florence. Car si notre amie parle, c’est toujours dans l’optique d’agir. C’est ainsi qu’après avoir bataillé quelques temps pour trouver une journée disponible dans son emploi du temps surchargé, Florence m’annonçait par mail que nous pouvions partir à Paris le 16 octobre (jour de son anniversaire !) pour passer toutes deux une journée au Louvre. Elle me téléphona quelques temps plus tard, avec un sourire dans la voix pour m’annoncer que les billets de train étaient pris au tarif le plus compétitif, que la ligne de métro desservant notre gare et menant au Louvre étaient (les seules de Paris !!) accessibles, que l’entrée du Louvre pour les personnes en fauteuil et leur accompagnateur étaient gratuites, que mon installation dans le train était prise en charge, aussi bien à l’aller qu’au retour,  par le personnel de la SNCF nous demandant simplement d’être présentes une demi heure avant le départ du train afin que ce placement s’opère dans les meilleures conditions : nous ne demandions pas mieux !
Et le miracle se produisit ! Le matin du 16 octobre, à 5 heures du matin, je vis arriver toute souriante (mais l’avons-nous déjà vu triste ou maussade ?) notre Florence qui, en un tour de main, installa ma personne et mon fauteuil dans sa voiture. Nous filâmes vers la gare où, une fois la voiture rangée sur une place handicapée avec mon GIC, nous arrivâmes en avance. Puis l’installation dans le train se fit avec une nacelle, un peu rétive mais obéissante tout de même aux manipulations du responsable et je fus installée avec le plus grand confort dans un compartiment, un poil frisquet, mais bien aménagé. Le voyage se fit sans encombre avec la rapidité d’écoulement de tout tête-à-tête enrichissant avec une personne intéressante.
Le temps gris et froid de Paris nous surprit car il était bien plus maussade que celui de Clermont mais nous n’eûmes pas trop le temps de nous appesantir sur lui. Nous partîmes pour le Louvre où nous arrivâmes après deux stations seulement de métro…
Après quelques hésitations sur la direction du Louvre (les parisiens, très aimables, nous guidèrent), nous sommes arrivées par cette entrée où la pyramide de Pei se tenait à notre gauche et le carrousel à droite. L’indication de l’entrée principale pour les personnes handicapées était très claire. Nous sommes entrées dans la pyramide où un ascenseur ouvert qui tenait de la nacelle (avec bords en cuir) nous permit de descendre au rez-de-chaussée tout en profitant d’une vue panoramique sur l’entrée du Louvre : c’était amusant (on aurait dit un tour de manège !) et impressionnant ; un liftier s’occupait seul de la commande.
Arrivées en bas, nous allâmes ranger nos affaires dans des vestiaires gratuits, les cellules situées au plus bas étant réservées aux personnes en fauteuil. Puis, libérées de nos bagages, nous pûmes apprécier l’étendue des beautés qui s’annonçaient autour de nous. C’était tellement majestueux, tellement immense de beautés accumulées que ce spectacle enchanteur longtemps espéré m’a mis les larmes aux yeux. Je regardais Florence qui souriait de mon émotion et je lui dis en l’embrassant : « Merci ! Merci ! »
Nous passâmes devant les guichets en arborant simplement ma carte d’invalidité et nous pûmes commencer par admirer le magnifique et imposant statuaire agencé là. Les audio guides (que Florence maîtrisait bien, heureusement pour moi !), nous précisaient des dates, des noms d’artistes des circonstances d’acquisition par le Louvre… Puis nous montâmes au premier étage où les merveilleux objets décoratifs, les luxueux appartements Napoléon III m’arrachèrent des « oh » et des « ah » d’admiration. Florence, comme un ange gardien, continuait à me pousser tout en m’expliquant le chemin qu’elle prenait. Des toilettes aménagées pour personnes handicapées se trouvaient à cet étage.
Mais le temps passe vite au Paradis et nous dûmes faire une pause repas car nos estomacs ne se contentaient pas des nourritures culturelles offertes. Pour optimiser le temps de notre visite, j’avais apporté de quoi pique niquer. Un grand espace dédié aux personnes qui se restauraient à la cafétéria du Louvre nous permit de nous installer simplement, avec petite table et pouf. Beaucoup de personnes pique niquaient là sans que personne ne songea à leur en faire remontrance.
La pause repas terminée, nous remontâmes au premier étage dont notre curiosité était loin d’avoir épuisé les trésors. Nous pûmes enfin faire connaissance avec la diva des lieux, je veux parler de « La Joconde ». Un balconnet en demi-cercle entourait le célèbre tableau et les gens devaient se tenir derrière lui pour ne pas approcher de trop près le chef-d’œuvre. Mais la pauvre Fred était perdue dans cette foule bien plus haute qu’elle et ne pouvait rien voir malgré l’insistance de Florence à demander aux gens de s’écarter. Enfin un des gardiens nous vit et vint à notre secours. Les gens furent écartés d’autorité et je pus passer devant le balconnet de sécurité pour admirer la belle plus près que quiconque ! Quel honneur ! Il me semblait que son sourire m’était personnellement adressé. Je la saluai  d’un « Bellissima ! », puis m’étant un instant noyée dans sa beauté intemporelle, je lui faisais « au revoir » de la main et partis rejoindre Florence, qui attendait en souriant de mon émoi.
Puis l’enchantement se poursuivit avec les autres italiens dont le divin Raphaël ; Florence me proposa d’aller voir la Victoire de Samothrace avant de monter admirer la peinture française du troisième étage, car le temps filait à grande allure… Je vis la majestueuse sculpture, bien plus belle que dans n’importe quel reportage télévisé ou sur toute photo d’art. Elle s’imposait seule dans un grand espace et ses ailes déployées donnaient une impression d’envol imminent comme si son marbre était plus léger que l’air : étrange sensation donnée par le génie des sculpteurs de l’antiquité grecque. Puis nous gagnâmes le second étage et là, David noud attendait pour étaler devant nous le sacre de Napoléon, mais il y avait aussi Delacroix et sa Liberté guidant le Peuple ; comment ne pas penser à Hugo et à l’héroïque petit Gavroche !
Mais la main de Florence s’appuya sur mon épaule pour me dire qu’il était temps de partir…Déjà ! Je me sentis comme Cendrillon contrainte de quitter un lieu de rêve pour revenir à la réalité. Au fond de moi s’ébauchait un désir en forme de projet : « Je reviendrai ! »
Avant de quitter le Louvre, Florence ne manqua pas de se renseigner pour une éventuelle sortie d’un groupe d’HandiLettante auprès d’une jeune italienne à l’accent charmant qui nous a remis papiers et coordonnées utiles.
Puis ce fut l’inévitable retour sans amertume car la journée avait été fertile en émotions. De nouveau l’accueil de la SNCF se fit dans les meilleures conditions et notre voyage en train fut aussi court que l’aller car le bavardage heureux fut incessant ! Arrivées à 21h20 à Clermont (le train avait pris ¼ d’heure de retard) nous avons retrouvé la voiture et Florence m’a raccompagnée jusqu’à mon domicile. Il ne me restait plus qu’à me coucher et à rêver…à quoi, à votre avis ?
Frédérique Marty.